« N’allons donc plus, par de folles ferveurs
Prescrire au Ciel ses dons et ses faveurs
Demandons-lui la prudence équitable
La piété sincère, charitable ;
Demandons-lui sa grâce, [demandons-lui] son amour… »
(Joseph de Maistre)
Joseph de Maistre, qui fut l’un des fondateurs de « La Sincérité » le 4 septembre 1778, est un auteur, contrairement à son ami Louis-Claude de Saint-Martin, qui ne se livra que très peu au sujet de sa vie intérieure, qui ne décrivit que trop rarement ce que sont les merveilles de la terre promise, terre sainte dont le « chemin qui y conduit [n’]est [pas] entièrement perdu désormais » [1], ne nous est pas fermé, bien au contraire, puisque cette ‘‘terre’’ est celle de nos cœurs ouverts aux mystères de la Divinité. Mais lorsqu’il le fit, ses lignes témoignent d’une foi assurée et d’une compréhension visible et subtile des choses du Ciel, nous montrant un esprit familier de l’exercice de la prière active, capable de nous transmettre de précieuses indications qu’il nous conviendra de longuement méditer : « Toutes les fois que nous parlons à Dieu, ou de Dieu, disait-il, il faut créer, pour ainsi dire, un langage nouveau : il faut que nos discours respirent l’humilité et l’anéantissement (…) et surtout, il faut bien se garder de vouloir avoir de l’esprit. Car ce n’est que par orgueil qu’on court après l’esprit, et ce sot orgueil doit se taire, quand nous prions Dieu ou que nous parlons de lui. La meilleure prière, c’est de l’adorer en silence (…). » (Fragment, 1770.)
Joseph de Maistre inscrira dans un des cahiers qui lui servaient de Registres dans lesquels il inscrivait, avec un soin attentif, des extraits de ses lectures, quelques phrases significatives à propos de la Divinité empreintes d’une profonde et admirable vérité : « je vous adore sans vous comprendre », ajoutant à ces lignes, en 1772, à l’occasion d’un séjour à Nice, une invocation de l’abbé Salvini extraite d’un sonnet de louange à l’Éternel qu’il avait fait sienne, et que nous pourrions reprendre comme forme de contemplation intérieure du mystère de l’Etre Éternel et Infini qui est la Bonté, la Justice et la Vérité même :
« Tu es Celui que je ne connais pas, et pourtant je T’invoque,
Tu es Un, Tu es Trine ; Tu es ce que Tu es. » [2]
Il peut donc se révéler pour nous, un maître éminent de spiritualité intérieure ; écoutons-le attentivement, pour nous en apercevoir, nous parler de la prière qui est l’acte le plus haut, l’acte surnaturel par excellence, que l’homme peut produire sur cette terre, et dont le rôle est singulièrement rappelé et présent au sein des travaux du Régime Écossais Rectifié : « La prière est semblable à la mystérieuse fille du grand roi, toute sa beauté naît de l’intérieur. C’est quelque chose qui n’a point de nom mais qu’on sent parfaitement et que le talent seul ne peut imiter. Nous connaissons bien peu les secrets du monde spirituel; et comment les connaîtrions-nous, puisque personne ne s’en soucie ? (…) Prions donc sans relâche, prions de toutes nos forces, et avec toutes les dispositions qui peuvent légitimer ce grand acte de la créature intelligente: surtout n’oublions jamais que toute prière véritable est efficace de quelque manière. (…)
Il est […] impossible de prier Dieu sans se mettre avec lui dans un rapport de soumission, de confiance et d’amour; de manière qu’il y a dans la prière, considérée seulement en elle-même, une vertu purifiante dont l’effet vaut presque toujours infiniment mieux pour nous que ce que nous demandons trop souvent dans notre ignorance (Le seul acte de la prière perfectionne l’homme, parce qu’il nous rend Dieu présent) [3]
Toute prière légitime, lors même qu’elle ne doit pas être exaucée, ne s’élève pas moins jusque dans les régions supérieures, d’où elle retombe sur nous, après avoir subi certaines préparations, comme une rosée bienfaisante qui nous prépare pour une autre patrie. Mais lorsque nous demandons seulement à Dieu que sa volonté soit faite, c’est-à-dire que le mal disparaisse de l’univers, alors seulement nous sommes sûrs de n’avoir pas prié en vain. » [4]
Notes.
[1] R. Guénon, Les Gardiens de la Terre Sainte, in Symboles de la Science sacrée, Gallimard, 1977, p. 92.
[2] Registre F, commencé en 1770, p. 303.
[3] Maistre rajoute en note : « Combien cet exercice inspire de bonnes actions! combien il empêche de crimes! l’expérience seule l’apprend... Le Sage ne se plaît pas seulement dans la prière, il s’y délecte. ‘‘Ou filei ooro seukesthai, alla agapa’’. (Orig. ubi sup., no. 8, p. 210, no. 20.) »
[4] J. de Maistre, Les Soirées de St. Pétersbourg, VIe Entretien.