Entrant dans les profondeurs magnifiques de la Sainte Trinité, saint Augustin (354-430) va établir une pertinente correspondance entre la Trinité et les trois facultés de l’âme. Cette comparaison, il n’est pas négligeable de le noter, sera intégralement reprise par Jean-Baptiste Willermoz, qui en fera un élément majeurs de la doctrine des Instructions secrètes, s’appuyant entièrement sur la conception augustinienne pour développer sa théorie de la dégradation des facultés qu’il avait antérieurement trouvée, mais de façon embryonnaire, chez Martinès de Pasqually.
Voici ce qu’écrivait sur ce point l’évêque d’Hyppone : « La sainte Trinité a imprimé son image dans l’âme et dans ses trois facultés. Ces trois choses, la mémoire, l’intelligence, la volonté, ne sont pas trois vies, mais une seule vie ; ne sont pas trois âmes, mais une seule âme ; conséquemment, ne sont pas trois substances, mais une substance. C’est pourquoi ces trois choses sont un, ne formant qu’une vie, qu’une âme, qu’une essence, comme en Dieu les trois personnes sont une seule vie, un seul esprit, une seule essence divine. De même l’empreinte de la sainte Trinité est dans notre corps même, et dans chaque sens ; par exemple, dans la vue il y a trois choses : la chose vue, la vision elle-même, et la perception de l’âme. (…) [1]»
La démonstration de saint Augustin, d’un prodigieux intérêt du point de vue doctrinal, dut, à l’évidence, marquer Jean-Baptiste Willermoz. On en jugera aisément par le passage suivant : « Partout on trouve la Trinité. Le nombre trois est propre à éclaircir toutes les difficultés, comme renfermant en lui le principe, le milieu, la fin : ces trois choses sont tout. Il y a trois choses dans le culte de Dieu : l’adoration, l’encens, l’hymne ; il y a trois vertus théologales : la foi, l’espérance, la charité ; il y a trois parties dans la pénitence : la contrition, l’aveu, la justification ; il y a trois principales bonnes œuvres : la prière, le jeûne, l’aumône ; l’arithmétique enseigne qu’on trouve le nombre trois dans chaque opération ; la géométrie nous fait voir qu’il y a trois choses en tout : la hauteur, la longueur, la largeur. Le monde est triple : il y a le monde angélique, le monde humain, le monde physique ; il y a trois hiérarchies des anges, et dans chacune trois ordres. Ils ont trois devoirs : purifier, éclairer, perfectionner. Ils ont une triple connaissance : celle du matin, qui est dans le Verbe ; celle du soir, qui est la connaissance des choses en elles-mêmes ; celle du midi, qui est la pleine vue de Dieu.
Il y a trois choses en tout : l’essence, la vertu, l’opération ; ou l’être la figure, l’ordre ; dans les compositions, il y a la matière, la forme et l’union (…) Il y a trois ordres dans les choses : l’ordre de la nature, de la grâce, de la gloire. Il y trois causes : la cause efficiente, la cause formelle, la cause finale (…) La loi est triple : la loi naturelle, la loi de Moïse, la loi de Jésus-Christ. Il y trois choses dans le temps : le passé, le présent et le futur. Enfin, Dieu a créé et disposé toutes choses de trois manières : en poids, en nombre et en mesure (Sap. XI, 21). C’est ainsi que la sainte Trinité a mis sa ressemblance en toutes choses, afin que chaque chose, à sa manière, la reconnaisse et lui rende hommage.
Toutes les créatures dépendent de la sainte Trinité, comme les rayons dépendent du soleil ; car le Père est celui de qui vient toute paternité, soit au ciel, soit sur la terre ; du Fils vient toute filiation et génération ; du Saint-Esprit vient tout amour, toute grâce, toute libéralité, tout don. Dieu Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, vient à nous lorsque nous allons à lui ; il vient en nous secourant, nous allons à lui en lui obéissant ; il vient en éclairant, nous allons à lui en le regardant, en voyant en tout sa volonté ; il vient en nous remplissant de biens, nous allons à lui en recevant de lui ces mêmes biens. [2]»
Admirable démonstration que l’on pourrait donner à méditer à tout nouvel Apprenti du Régime Ecossais Rectifié, mais que, plus largement, tout chrétien devrait se remémorer pour éclairer les fondements les plus essentiels de sa foi.
Notes.
[1] S. Augustin, Enchirid.
[2] S. Augustin, Tract. LXXVI in Joann.
Sur le sujet voir :
Jean-Marc Vivenza, Les élus coëns et le Régime écossais rectifié, Le Mercure Dauphinois, 2010,
Appendice I « La Sainte et Indivisible Trinité », pp. 263-292.