« Le Temple universel est divisé en trois parties, qui furent toujours distinguées

sous les noms de terrestre, céleste et Surcéleste.

De même celui de Salomon était divisé en trois parties distinctes

par leur position et leur forme et par leur destination particulière,

savoir le Porche, le Temple intérieur et le Sanctuaire.

De même aussi le corps de l’homme est divisé en trois parties bien distinctes,

qui sont le ventre, la poitrine et la tête. »

Une idée récurrente, affirme l’absence totale de composante « opérative » au sein du système élaboré par Jean-Baptiste Willermoz. Cette opinion se fonde en partie sur la volonté déclarée, et clairement affichée, du fondateur du Régime de ne point avoir souhaité introduire des éléments directs de la théurgie martinésienne, même au sommet de l’Ordre, et tel, en effet, fut son vœu pour de multiples raisons, dont la principale tient au caractère extrêmement délicat et complexe de ces domaines réservés, où seuls quelques esprits d’une exceptionnelle solidité peuvent s’aventurer sans risquer de se voir renverser par les forces inconnues qu’ils réveillent et manipulent, et qu’il est très difficile de maîtriser mais beaucoup plus courant d’en devenir le jouet et l’esclave.

En revanche, déclarer avec assurance l’inexistence de tout aspect « opératif », si l’on veut bien considérer que la théurgie n’est pas, à elle seule, et loin s’en faut, l’ensemble et la totalité de l’œuvre spirituelle, est une erreur qu’il convient de fermement redresser, car profondément oublieuse des grandes perspectives transcendantes du système adopté en 1782 au Convent de Wilhelmsbad, perspectives qui relèvent, indéniablement, d’un ordre singulièrement « opératif » s’il en est, du moins si l’on veut bien reconnaître à ce terme le sens précis qui lui est accordé, puisque, en l’espèce, c’est « d’opération » divine dont il s’agit dans le cadre des travaux développés au sein du Régime Écossais Rectifié.

La structure tripartite du Temple et de l’homme

La vocation du Régime, est de conduire les frères d’une connaissance extérieure de l’édifice sacré dans lequel se célébraient les gloires de l’Éternel, à une intime perception de son caractère intérieur, de sa valeur directement personnelle s’appliquant à chaque homme cheminant vers le terme de sa réconciliation.

Ce projet, transmis dans les rituels par un savant usage méthodique et répété des vérités de la Sainte Ecriture, consiste en la certitude que l’homme, s’il fut créé en image et ressemblance de Dieu, a été également façonné selon les mêmes principes que le Temple, sa forme corporelle nous montrant d’ailleurs l’identique division en trois parties du lieu saint des hébreux (Porche, Temple et Sanctuaire), se reproduisant pareillement et s’appliquant à l’aide des mêmes lois à l’homme lui-même : « Le Temple universel est divisé en trois parties, qui furent toujours distinguées par les Sages sous les noms de terrestre, céleste et Surcéleste. De même celui de Salomon était divisé en trois parties distinctes par leur position et leur forme et par leur destination particulière, savoir le Porche, le Temple intérieur et le Sanctuaire. De même aussi le corps de l’homme est divisé en trois parties bien distinctes, qui sont le ventre, la poitrine et la tête. » [1]

Willermoz nous fait alors pénétrer dans la compréhension subtile des principes et règles que l’on se devait d’observer lorsque l’on pénétrait dans l’enceinte sacrée : « Les limites de l’univers créé le séparent à jamais d’une immensité incréée et sans bornes, que les sages ont appelée immensité divine. Elle est voilée aux yeux de la nature sensible et ne peut être conçue que par l’intelligence. De même au centre du Sanctuaire était le Saint des Saints ou l’Oracle, qui était voilé aux yeux du Peuple et des Prêtres eux-mêmes. Le Grand Prêtre seul y pouvait entrer une fois l’an, pour adorer la majesté suprême au nom de la nation entière ; et s’il était assez imprudent pour s’y présenter sans être préparé par toutes les purifications légales spirituelles et corporelles, il y courait le risque de mort. » [2]

C’est précisément à partir de ce constat, portant sur la nécessité de purification pour le célébrant désireux de franchir le voile qui sépare les autres parties du Temple du Saint des Saints, que va s’élaborer toute l’entreprise spirituelle dévolue aux frères avancés de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte.

La réalisation de l’œuvre de purification obtenue par la pratique des vertus

L’œuvre de purification va ainsi s’imposer sous la forme d’un chemin de remontée vers l’essence primitive dont l’homme s’éloigna pour son malheur, d’une lente ascension vers le centre de la Création qui avait établi notre premier parent, en tant qu’agent immédiat de la Divinité, dans un état de gloire et de perfection : « Il faut donc aujourd’hui, pour retourner à ce centre dont il est descendu, écrit Willermoz, qu’il remonte par le même chemin et qu’il paie à chacun de ses agents principaux le tribut d’expiation et de justice qu’il s’est imposé pour recouvrir les sept dons spirituels qu’il possédait dans sa plénitude. C’est ce tribut d’expiation et de justice que l’homme doit commencer à payer ici-bas, quoiqu’il ne puisse pas l’acquitter pleinement tant qu’il est lié à cette forme de matière qui l’expose sans cesse à de nouveaux dangers. Son travail ici-bas est de se purger avec grand soin des sept vices, ou péchés capitaux, opposés aux sept vertus qui peuvent seules lui procurer les sept dons de l’esprit. » [3]

On comprendra ainsi beaucoup mieux pourquoi les sept vertus occupent une place centrale dans les rituels de l’Ordre, et le sens de l’insistance soutenue qu’imposent les instructions par demande et réponse des différents grades, mettant en avant l’importance des vertus spécifiques attribuées à chaque classe initiatique.

Les progressives opérations de purifications que se propose de réaliser le Régime Écossais Rectifié, en prenant le temps qu’il convient en ces domaines, respectant les capacités et l’économie particulière de chacun, sont loin d’être négligeables puisqu’elles interviennent directement dans l’éventuelle célébration à laquelle est convié le disciple du Divin Réparateur, célébration qui lui donnera de franchir la porte du Sanctuaire, de relever l’autel des parfums et d’offrir son encens à l’Éternel : « L’homme bien purifié est le seul grand prêtre qui puisse entrer dans le Sanctuaire de l’Intelligence, comprendre sa nature, se fortifier par elle, et rendre dans son propre Temple un hommage pur à celui dont il est l’image. Mais s’il néglige de se purifier avant de se placer devant cet autel, les ténèbres épaisses de la matière viennent l’aveugler, et il trouve la mort où il devait puiser la vie. » [4]

L’effective « opérativité » du Régime Rectifié

Loin d’être exempt de tout aspect opératif, le Régime Rectifié est ainsi, un authentique séminaire où sont enseignées et mises en œuvre les bases de la véritable purification spirituelle. Sagement, chrétiennement, Jean-Baptiste Willermoz nous invite à la seule théurgie qui soit essentielle et première, celle qui doit intervenir sur l’autel privilégié et supérieur qui réside en l’homme, c’est-à-dire son cœur. Il nous demande, avec patience et tempérance, de nous consacrer d’abord à la réforme vitale de notre être par le chemin obscur, silencieux et secret de l’humilité, du renoncement et de la prière. Voie droite et absolue de sanctification, unique chemin assuré de notre profonde réconciliation avec l’Éternel : « S’humilier, veiller sur soi et prier sont donc les devoirs principaux de tous les membres de l’Ordre. La prière doit être vocale, elle doit être l’expression de la faculté de parole qui constitue l’homme ressemblance divine. Elle doit être précédée d’un examen de sa conduite, d’un aveu de ses fautes, de l’exposé de ses besoins et accompagnée d’une demande de secours nécessaires. » [5]

Telle est l’œuvre propre et spécifique du système voulu par Jean-Baptiste Willermoz qui, pour être austère, n’en recèle pas moins les outils essentiels pour procéder à une véritable reconstruction de l’être, pour le rétablir dans plénitude de la grâce de Dieu, le réintroduire dans la communion malheureusement brisée avec l’Éternel opération vitale sans laquelle il n’est absolument pas envisageable d’espérer pénétrer les mystères divins.

Le Régime Rectifié n’est, en lui-même, dans toute sa structure pyramidale et hiérarchique, à ses différents niveaux, sous réserve d’être vécu correctement et fidèlement, qu’une profonde et pénétrante « opération » de purgation salvatrice, de reconstruction régénératrice, de réveil de la créature à la vraie foi, une « voie » effective de souveraine sanctification.

Notes.

1. J.-B. Willermoz, Instructions.

2. Ibid. 

3. Leçons de Lyon, n° 103, mercredi 23 octobre 1776, W.

4. J.-B. Willermoz, Instructions.

5. Leçons de Lyon, n°103, mercredi 23 octobre 1776, W.